Selon une étude du Centre régional africain pour le développement communautaire et endogène (Cradec) et d’autres organisations de la société civile (OSC) du Cameroun sur « le suivi de la domestication de la vision minière africaine et le partage des bénéfices issus du secteur minier : cas du Cameroun », « les déclarations de production d’or ne sont pas faites ou sont inexactes ». Une situation qui, selon ces OSC, « impacte sur les bénéfices à partager dans le cadre de la taxe à l’extraction et la taxe ad valorem, toutes deux des redevances proportionnelles à la production ».
Le rapport du Cradec rejoint celui de mai 2021 d’Interpol sur « l’exploitation aurifère illégale en Afrique centrale ». « De 2008 à 2017, on constate d’importantes différences entre la déclaration annuelle du Cameroun sur les exportations vers les Émirats arabes unis et celle des Émirats arabes unis sur les importations depuis le Cameroun ». En effet, ce rapport indique que « selon le Cameroun, les exportations annuelles vers les Émirats arabes unis n’ont jamais dépassé 32 kg ». Or, en 2017, souligne Interpol, « pendant que les Émirats arabes unis reconnaissaient avoir importé 10,9 tonnes d’or en provenance du Cameroun, celui-ci ne déclarait que 4 kg d’or exportés vers ce pays du Moyen-Orient ».
En 2010 déjà, 90% de l’or dans l’informel
Bien avant le Cradec et d’Interpol, il y a plus de 10 ans, le Capam (entité que remplace la Sonamines, ndlr) évoquait déjà « les quantités d’or qui se perdent dans les circuits informels au Cameroun ». Dans une interview accordée au quotidien privé « Mutations » le 16 juin 2010, l’ancien coordonnateur du Capam, Paul Ntep Gwet, affirmait que « le Capam, chargé de canaliser l’or produit au Cameroun dans le circuit formel, fait face à une concurrence déloyale des trafiquants. Ces derniers achètent les quantités d’or produites par les artisans miniers avec notre appui technique et financier. Et à des prix supérieurs à ceux pratiqués à l’international. Ce sont des réseaux bien huilés de blanchiment d’argent et d’appui aux monnaies étrangères. » « Plus grave, déclare-t-il, sur les 100 Kg d’or produits au Cameroun chaque mois, 90% sont canalisés dans les circuits des trafiquants ».
Dans le même sens, selon un rapport de mission d’avril 2016 du Capam, du fait des fausses déclarations de productions dont se rendaient complices ses personnels, l’Etat enregistrait des pertes d’environ un milliard de FCFA par mois du dans les sites miniers de la région de l’Est. En son temps, le Capam avait pris la résolution de « renforcer les brigades minières avec des éléments de sécurité armés, notamment la gendarmerie, ceux présents sur le terrain ayant déjà des familiarités avec les trafiquants ». Pour accompagner cette mesure, le Capam sollicitait du gouvernement l’ouverture d’une ligne de crédit d’un milliard de FCFA par an pour l’achat les quantités d’or canalisées dans les circuits formels.
Débat autour des chiffres de la Sonamines
C’est sur ces entrefaites que le président de la République crée le 14 décembre 2020 la Sonamines. Elle est chargée, entre autres, « de la promotion de la transparence dans le secteur minier », un terrain sur lequel l’on attend le directeur général (DG), Serge Hervé Boyogueno. Dans une interview accordée à Ecomatin le 27 décembre 2021, ce dernier révèle que « du 17 juillet au 30 novembre 2021, 43,46 kg d’or ont été collectés, soit une augmentation de 93,29% par rapport à la même période en 2020 et 138,86 % en 2019 ». Pour arriver à ce score, le DG de la Sonamines dit avoir repris « la collecte de l’impôt synthétique minier libératoire dans différents sites miniers » et resserré « le suivi et le contrôle de la production de l’or ».
Pour autant, des observateurs émettent des réserves sur la véracité des chiffres avancés. « Seule une contre-expertise peut en établir la réalité dans un système toujours déclaratif », souffle un cadre d’une OSC à Yaoundé. Pour un autre, qui a participé à l’étude du Cradec, « nos affirmations sont de mai 2021, antérieures à la période prise en compte par la Sonamines. Cette dernière a déployé plus de personnel dans les sites miniers que le Capam dont le personnel en sous-effectif justifiait le peu de résultat dans le suivi et le contrôle des productions d’or. Cependant, l’enquête d’Interpol sur les exportations d’or vers les Emirats arabes unis peut aider à démêler cet écheveau ».Au-delà de toute diatribe, le rapport du Cradec recommande de « s’assurer de l’effectivité et l’efficacité du mécanisme de contrôle et de suivi de la production ». Le dispositif mis en place pourrait être coordonné par le ministère des Mines, de l’Industrie et du développement technologique (Minmidt) à travers la Brigade minière et du cadastre minier.
Bernard Bangda