Selon des sources internes à la Société de développement du coton (Sodecoton), pour la campagne en cours, les ventes illicites du coton graine vers le Nigeria pourraient occasionner des pertes de l’ordre de 19 500 tonnes. Ce qui, selon nos sources, représentant 10% des prévisions des récoltes attendues des zones où les producteurs s’adonnent à ces activités illicites. Il s’agit de la région de l’Extrême-nord où la Sodecoton pourrait perdre 11 400 tonnes et le Nord, 8 100 tonnes. La situation est d’autant mal vécue que l’entreprise dirigée par Mohamadou Bayero Bounou a toujours préfinancé les producteurs en intrants. De ce fait, et selon un contrat liant les deux parties, l’entreprise doit être livrée en exclusivité.
Seulement, du côté des producteurs, l’on pointe un doigt accusateur vers les prix pratiqués par la Sodecoton. En effet, indiquent certains producteurs que Ecogreen Afrik a pu joindre, « pendant que la Sodecoton achète le kilogramme (kg) de coton graine à 227 FCFA, au Nigeria, il coûte 800 FCFA ». Une situation dénoncée par le rapport 2019 de la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic (CTR). Dans ce document, la CTR indiquait que « les producteurs affichent une préférence au Nigeria en raison de la compétitivité des prix pratiqués dans ce pays » D’où, selon la CTR, « la nécessité de revaloriser les prix d’achat du coton au Cameroun, afin de limiter cette exportation vers le voisin nigérian ». Et les ventes illégales vers le Nigeria ne datent pas d’aujourd’hui.

Pourtant, entre-temps, précisément en 2012, la Sodecoton avait légèrement augmenté le prix d’achat du coton graine qui était passé de 200 FCFA à 255 FCFA le kg. Pour autant, cela n’a pas réussi à calmer les ardeurs des producteurs qui lorgnent vers le Nigeria. Au cours de la campagne de cette année-là, la Sodecoton avait perdu 12 milliards de FCFA à dans ces exportations illégales. Soit 16% de la production des paysans ainsi écoulés à dos d’âne au Nigeria.
Stratégie
« Si rien n’est fait dans l’urgence, nous pourrons enregistrer des pertes de l’ordre de 10 milliards de FCFA à la fin de cette campagne dans ces zones », souffle, paniquée, une source interne à la Sodecoton. La même source affirme que « ces pertes pourraient s’alourdir si des mesures plus dissuasives ne sont pas prises à temps ».
L’affaire arrive au moment où l’entreprise se remet peu à peu des affres de la pandémie de la Covid-19 et de la baisse des cours du coton. En effet, selon le rapport 2020 de la CTR, « le résultat d’exploitation, bien que positif, connait une dégradation importante de 8,7 milliards de FCFA (74,88 %). Passant de 11,6 milliards en 2019 à 2,9 milliards en 2020. » Le document révèle également qu’« au cours de la période sous revue, la Sodecoton a enregistré une perte estimée à environ 29 milliards de FCFA, émanant des invendus de 2020 au 31 décembre 2020, au plus fort des mesures de restrictions des exportations sur le marché international. Perte correspondant à un volume de 30 975 tonnes de coton immobilisées ».

Les exportations illégales qui menacent les objectifs de 400 000 tonnes de production de cette année font planer le spectre des campagnes de 2014 à 2016 lorsque l’entreprise avait perdu près de 36 milliards de FCFA du fait de l’utilisation régulière de ses ressources propres dans un environnement où presque tous les indicateurs étaient au rouge.
Pourtant, depuis la campagne 2016-2017 au cours de laquelle elle avait produit 240 000 tonnes, soit 18 tonnes de moins que la campagne précédente, tous les voyants sont désormais au vert avec 254 000 tonnes en 2017-2018, mais surtout des productions au-delà de 300 000 tonnes depuis trois campagnes. Légitimement, elle aspirait à produire 400 000 tonnes en 2022 et 600 000 tonnes en 2025. C’est ce programme que veulent mettre à mal des producteurs camerounais en intelligence avec des acheteurs véreux nigérians.
Bernard Bangda